Histoire du théâtre
Un lieu unique, né à la Belle époque de la volonté d’un roi
Le square ouvert en 1911 sur l’emplacement des remises et écuries d’une compagnie de fiacres, ne pouvait trouver meilleur parrainage que celui du souverain anglais Édouard VII, roi parisien, le plus boulevardier de tous, à l’époque où le Boulevard se terminait chez Maxim’s. En bonne logique, c’est un architecte anglais M. Sprague, qui construit une salle de spectacles au centre de la place en 1913. Un pionnier de l’industrie cinématographique l’exploite en y présentant le Kinémacolor. Trois ans plus tard, elle est transformée en théâtre où pendant quinze ans ont alterné pièces de boulevard, opérettes, créations ou reprises.
Avec Sacha Guitry, une histoire d’amour
Il faut attendre le mois d’octobre 1920 pour qu’une déclaration d’amour attire le public au Théâtre Édouard VII : Je t’aime Sacha Guitry se déclarait ainsi à Yvonne Printemps. Et tout Paris constatait, ravi, cet amour « Nul printemps n’est plus délicieux que celui de Paris, mais quand il s’appelle Yvonne, il devient incomparable… il est impossible d’incarner plus exactement Paris ».
Pendant dix années, Sacha Guitry a assuré à ce théâtre une prospérité heureuse. En dix saisons quel palmarès ! Du meilleur Guitry : Je t’aime, Le Comédien, Le Grand Duc, Jacqueline, Un sujet de roman, L’Amour masqué, Le Lion et la Poule, pièce dans laquelle Lucien Guitry tint son dernier rôle, Une Étoile nouvelle, Mozart, Désiré, et Mariette, un bijou. De brillantes reprises que le public redemandait sans cesse et qui ravissaient les nouvelles générations : Le Mari, la Femme et l’Amant, Faisons un rêve, L’Illusionniste, Le Veilleur de nuit, Jean de La Fontaine…
Et d’autres, tant d’autres pièces mettant en scène les meilleurs comédiens de l’époque. Seule la maladie qui devait l’emporter empêcha Sarah Bernhardt de créer Un sujet de roman qu’elle répéta jusqu’à la veille de la générale. Pendant les absences de ses pensionnaires favoris, Alphonse Franck, le directeur, a coutume d’accueillir Lucien Guitry qui incarne d’une façon magistrale – et inattendue – Arnolphe dans L’École des femmes, bouclant ainsi son cycle de personnages moliéresques après Tartuffe et Alceste. Le 17 janvier 1948, malgré les menaces et le chantage, Sacha Guitry fait sa rentrée dans Le Diable boiteux. Une fois encore, Sacha s’impose et dix rappels consacrent la répétition générale.
La découverte du théâtre anglo-saxon et américain
Noël Coward joue en français sa pièce Joyeux Chagrins. Raymond Rouleau met en scène Un tramway nommé Désir de Tennessee Williams avec Arletty. Orson Wells vient confirmer sa vocation à ce théâtre anglo-saxon : en 1950, il joue The Lobster en anglais pendant deux mois. Au cours d’une brève direction, Raymond Rouleau remet en scène l’un de ses grands succès Virage dangereux de Priestley qu’il interprète avec Gaby Sylvia et Mylène Demongeot.
Le Boulevard, toujours à l’honneur
Le Théâtre Édouard VII connait alors de beaux soirs, les derniers d’une certaine forme de théâtre de Boulevard : L’Île heureuse de Jean-Pierre Aumont que l’auteur joue avec la belle Maria Montez et Robert Murzeau. Fric-Frac d’Édouard Bourdet enthousiasme autant le public que Jean Cocteau, saluant le grand comédien : « Michel Simon dans Fric-Frac c’est énorme. Il dépasse la zone du théâtre, il survole l’intrigue, il aborde dans la région vierge où la critique ne fonctionne plus ; je ne sache pas qu’aucune gloire contemporaine puisse vous donner cette somme de réalisme et de songe ». Armand Salacrou avec la complicité d’Yves Robert fait jouer deux pièces en un même spectacle : Pourquoi pas moi et Poof… Robert Lamoureux se révèle un comédien d’instinct dans Ombre chère de Jacques Deval, comme Jean Richard dans Demeure chaste et pure et Darry Cowl dans Le mari ne compte pas de Roger Ferdinand. Tandis que Jacques Deval fait déclarer à Jean-Pierre Aumont Il y a longtemps que je t’aime à Dora Doll.
Au fil des directions
À partir de 1958, Claude Génia prend la responsabilité du théâtre. À travers de nouvelles pièces mémorables comme L’Année du bac, Jours heureux, Bonheur, Impair et passe… elle nous fait découvrir une nouvelle génération d’acteurs : Sami Frey, Michèle Bardollet, Francis Nani, Jacques Perrin, Roger Dumas, Juliette Gréco, Daniel Gélin, Michel de Ré, Jean-Louis Trintignant, Alice Cocéa, Marthe Mercadier, Jean Le Poulain… Signalons la création de Huit Femmes de Robert Thomas, pièce brillamment remise au goût du jour par le jeune réalisateur de cinéma François Ozon.
Sous des directions successives, le Théâtre Édouard VII continue à porter haut le flambeau du Boulevard. On y joue : Chat en poche de Feydeau avec Thierry Le Luron, Henri Tisot succède à Victor Boucher dans Bichon. En 1967 Francis Veber fait jouer sa première pièce L’Enlèvement. Simone Valère et Jean Desailly interprètent Double Jeu de Robert Thomas avant que Robert Lamoureux, avec Françoise Rosay, ne présentent La Soupière, drolatique comédie. Le grand comédien Claude Dauphin fut un extraordinaire Shylock dans Le Marchand de Venise adapté par Thierry Maulnier avant que Madame Elvire Popesco ne reprenne La Mamma d’André Roussin, comme toujours soulevant l’enthousiasme des salles. Pendant deux saisons, Simone Valère et Jean Desailly se dépensent sans compter à la direction du Théâtre Édouard VII pour défendre un répertoire qui leur est cher de Jean Giraudoux avec Amphitryon 38, à Ibsen avec L’Ennemi du peuple.
Le répertoire s’enrichit sous la direction de Pierre Bergé avec la création de Nous ne connaissons pas la même personne de François Marie Banier et de Navire Night de Marguerite Duras. En engageant Robert Hirsch en 1979, il donne à ce grand comédien l’occasion de retrouver le succès personnel qui ne l’avait jamais quitté lors de sa longue carrière à la Comédie Française. Robert Hirsch rencontre l’un de ses meilleurs rôles avec le plus franc succès dans Deburau. Pendant près de deux saisons, il joue un plus grand nombre de fois que Sacha Guitry lui-même. En 1982, Edwige Feuillère choisit le Théâtre Édouard VII pour y effectuer sa rentrée dans La Dernière Nuit de l’été.
Avec Jacqueline Cormier à la direction du théâtre, Jean Poiret et Maria Pacôme jouent Joyeuses Pâques, l’une des meilleures comédies de Boulevard présentées à Paris depuis longtemps, qui a confirmé son auteur Jean Poiret dans la lignée des rares successeurs de Sacha Guitry. Philippe Caubère apparaît pour la première fois sur une scène parisienne en janvier 1982, dans sa magnifique Danse du Diable. 1983, année faste pour Strindberg qui connait ici son plus grand et seul succès populaire à Paris avec Mademoiselle Julie brillamment interprété par Niels Arestrup et Fanny Ardant après Isabelle Adjani. Précédant l’année de son centenaire, Sacha Guitry revient chez lui, grâce à Jean-Claude Brialy et Marie-José Nat, reformant un couple inoubliable pour Désiré.
Avec Chapitre II de Noël Simon, remarquablement adapté par Barillet et Grédy et mis en scène par Pierre Mondy, c’est la rentrée théâtrale inattendue de Mireille Darc avec Jean Piat. Quant à la reprise tant souhaitée de La Répétition ou l’Amour puni de Jean Anouilh, il suffit de relire Pierre Marcabru pour se souvenir du rare bonheur de cette représentation : « … une liberté d’humeur et d’esprit et un plaisir de dire et d’entendre qui échappent à la vieille pesanteur du monde. On est ailleurs ». C’est-à-dire au paradis du théâtre avec Pierre Arditi, Emmanuelle Béart, Anny Duperey, Bernard Giraudeau et Béatrice Agenin, dans une mise en scène de Bernard Murat. Les Clients nous laissent dans les mêmes sphères : « une pièce assez insolite et qui touche des zones sensibles… bascule dans une espèce de chef-d’œuvre ». (Michel Cournot) dû à Jean Poiret qui l’interprète avec une maîtrise tragi-comique qui lui est propre, avec Françoise Fabian, dans une mise en scène de Bernard Murat. Paris découvre, émerveillé, l’adaptation anglaise du classique français Les Liaisons dangereuses avec Bernard Giraudeau et Caroline Cellier. La saison se termine brillamment en mai 1989 par Un mois à la campagne, comédie dramatique de Tourguéniev, avec Isabelle Huppert, dans une mise en scène de Bernard Murat.
En octobre 1989, la saison débute avec un nouveau directeur, Julien Vartet et nombre de comédies vaudevilles dont il est l’auteur Point de feu sans fumée, Décibel, La Frousse, Archibald… Ces comédies alterneront avec une programmation éclectique : une heureuse reprise des Maxibules, pièce oubliée de Marcel Aymé qui a contribué à remettre cet auteur en lumière. La réhabilitation théâtrale de Jules Renard grâce à la complicité d’Anny Duperey, Bernard Giraudeau et Bernard Murat pour une reprise triomphale de Le Plaisir de rompre et Le Pain de ménage. Fin octobre 1994, la saison débute par deux pièces de Georges Feydeau On purge bébé et Feu la Mère de Madame avec notamment Muriel Robin, Pierre Richard et Darry Cowl, dans une mise en scène de Bernard Murat. Julien Vartet entreprit d’importants travaux. Le théâtre lui doit aujourd’hui d’être climatisé et entièrement réhabilité.
Après une année de fermeture, le théâtre ouvre ses portes en septembre 2001 sous la co-direction de Bernard Murat et Jean-Louis Livi. Sous la houlette de Bernard Murat, un habitué des lieux, le théâtre présente en septembre 2001, La Jalousie de Sacha Guitry avec Michel Piccoli, Anne Brochet, Stéphane Freiss et Annik Alane. Sarah de John Murrell, adapté par Eric-Emmanuel Schmitt avec Robert Hirsch et Fanny Ardant puis Anny Duperey (saison 2002/2003). En septembre 2007, le Théâtre Édouard VII célèbre l’Année Guitry (1885-1957) avec deux spectacles Un type dans le genre de Napoléon… Quatre pièces inédites en un acte interprétées par Martin Lamotte entouré entre autres par Florence Pernel et Chloé Lambert. Mon Père avait raison, après Les Guitry, Les Brasseur. Comme Lucien et Sacha Guitry, Claude et Alexandre Brasseur jouent ensemble pour la première fois. Ces deux spectacles sont mis en scène par Bernard Murat, désormais seul aux commandes du théâtre. Il a dirigé le Théâtre Édouard VII de 2001 à 2017, s’attachant à en élargir le public, notamment en réintroduisant les soirées théâtrales en direct à la télévision. Il a dirigé les plus grands comédiens, parmi lesquels Johnny Hallyday (pour sa première fois au théâtre) dans Le Paradis sur terre en 2011.
Un théâtre du groupe Pascal Legros
Fin 2017, le Théâtre Édouard VII intègre le groupe Pascal Legros rejoignant le Théâtre des Nouveautés et le Théâtre Fontaine. Acteur incontournable du spectacle vivant, Pascal Legros dispose de 30 ans d’expérience dans les tournées théâtrales, et s’affirme comme l’un des principaux producteurs du théâtre privé. Guidé par son exigence et son goût de l’éclectisme, l’ambition du groupe est de proposer un large panel de spectacles, à destination de tous les publics.
Nombre des citations sont extraites de Grandes heures de Théâtres à Paris de Jacques Crépineau (Librairie Académique Perrin).